Autrefois ville sainte, Khajuraho offrait en l’an 1000 quelques 85 temples ; il en reste une vingtaine. Nous devons son édification à la dynastie des Chandella, dont elle fut certainement la capitale à partir du Xe siècle. Elle se développa sous la protection des forteresses placées sur les collines voisines, telle Kalanjara qui resta inviolée par les musulmans jusqu’en 1202. Nous connaissons peu les souverains Chandella. Nous les pensons tolérants, respectueux de la loi védique et des Puranas, et fervents adorateurs de Shiva sous son aspect créateur. Ils se sont distingués, pendant deux siècles, par leur goût pour les arts et les lettres, une véritable guilde d’artistes transmettant les traditions culturelles. L’archéologie nous a surtout laissé mention de deux d’entre eux qui semblent avoir joué un rôle considérable dans l’histoire du Nord de l’Inde : Dhanga, de 950 à 1002, marque l’apogée de la dynastie. Libéré de la souveraineté de Kanauj, il étend son domaine de Bénarès à Gwalior. Nous lui devons les temples Visvanatha et le Parshvanatha. Vidyadhara règne de 1017 à 1029. Il se heurte aux armées de Mahmoud de Ghazni avec lequel il parvient à un compromis pour sauver l’indépendance de la dynastie (les musulmans sont confrontés à la résistance farouche des clans rajpouts Pratihara & Chandella). Vidyadhara édifie le temple Kandarya Mahadeva. Leurs successeurs lutteront pour préserver leur suprématie, mais Khajuraho perdra peu à peu de son importance. On perd tout à fait la trace des Chandella au XIIIe.
Les temples de Khajuraho
Ils comptent parmi les plus extraordinaires architectures de l’Inde et sont la manifestation, dans la pierre, de l’exceptionnelle dévotion des rois Chandella. Ils offrent une démonstration éblouissante des techniques de construction, du savoir-faire des plasticiens, et du canon dictant l’esthétique de l’époque médiévale. Ces temples sont répartis en deux ensembles, correspondant aux deux idéologies religieuses qui ont motivé leur édification : un premier groupe est constitué des temples hindous, un second des temples jaïns. Tous sont contemporains. Le brahmane est "cerveau" de la construction, car il possède la science des textes. Le maître d’œuvre possède, lui, la science des formes. On fait appel à la géomancie, car la construction est comparable à une action liturgique éloignée de la notion de patrimoine mais conçue comme un ex-voto. L’architecture se déchiffre à travers le symbole, celui du cosmos. Les "vastu-shastra" enseignent comment procéder, en respectant notamment des points névralgiques donnés par un diagramme, sorte de mandala, qui utilise la forme considérée comme parfaite, le carré. Le temple est l’axe du monde où se rencontrent monde céleste et monde terrestre. Ce n’est pas un lieu de rassemblement pour prier à heure fixe, en communauté (pas de mouvement communautaire) par conséquent l’étroitesse des volumes intérieurs en comparaison de la démesure extérieure fait du temple une immense sculpture : c’est une masse architecturale compacte, exerçant une très forte tension sur l’espace environnant. L’un des temples les plus majestueux est sans doute le Kandriya Mahadeva. Daté de l’an 1000, il est en grès, et de type pançayatana, c’est-à-dire entouré de 4 autres temples aux angles de la terrasse. Son enceinte n’a pas été conservée. Les trois premières cellules sont couvertes de toits pyramidaux qui, par bonds successifs, conduisent le regard vers le sommet de la haute tour du sanctuaire. L’ensemble a donc l’aspect d’une pyramide à degrés. Nous sommes dans le style nagara : le plan est carré et le saint des saints est coiffé d’un shikhara, tour aux arêtes arrondies et dont l’envol est accentué par un minuscule shikhara qui émerge du sommet. L’ensemble se développe selon un mouvement naturel, la tour et la masse du temple ne faisant qu’un avec la terre, comme une haute montagne. L’impression de chaîne montagneuse est renforcée par le couronnement de petites tours dont la hauteur augmente progressivement jusqu’à l’axe principal. Des contreforts en demi-shikhara se contrebutent l’un l’autre et prennent de l’importance avec la hauteur, tandis qu’aux angles d’autres éléments réduits épaulent l’axe central. Le shikhara fait converger vers un même point du ciel les lignes du temple. Il se coiffe d’une sorte de fruit aplati nommé amalaka.
L’iconographie érotique
A l’origine de l’iconographie érotique qui caractérise les temples de Khajuraho, il y a le mythe védique de l’union mystique.
Le Purusha est un être gigantesque qui a toutes les caractéristiques de l’homme. Il est l’univers (il sert dans certains récits de matière oblatoire dans le cadre d’une genèse sacrificielle). Ce potentiel cosmique, recueilli et inactif, rencontre la force active, l’énergie créatrice, qui va permettre la création de l’univers sensible : la Prakriti. Cette union est un modèle : il faut reconstituer la fusion de ces deux principes par l’amour, le langage du mystique s’adaptant au langage de l’amour physique, vécu comme transcendant. L’homme et la femme ne peuvent se rapprocher de cette entité divine qu’en cherchant à reproduire le couple originel. La sensation extrême du plaisir est considérée comme l’image, le reflet, de la volupté infinie ressentie lorsque l’être s’unit à l’être divin. Une différence fondamentale est posée entre l’union temporaire et partielle de deux êtres vivants et l’union absolue, inconditionnelle et surtout durable avec le divin, mais la nature de la volupté reste la même. Nous recherchons le plaisir parce qu’il est le reflet du bonheur qui est notre vraie nature. Les barrières des sens, notre aveuglement, nous masquent ce bonheur inhérent à nous-mêmes, et nous poussent à en chercher le reflet à travers les sens. Pourtant ça n’est pas vraiment l’amour, au sens divin : l’amour statique qui est fusion des contraires est une image du repos divin, un état transcendant, tandis que le plaisir est une tension, une vie perpétuelle dans laquelle les êtres sont encore séparés pour pouvoir s’identifier l’un à l’autre. Il s’agit donc de transmuter le désir qui est en chacun pour que l’amour devienne rituel, et cela explique que l’érotisme soit apparenté à un yoga. C’est un rituel qui est promu à la dignité d’instrument pour réaliser en soi la présence de la divinité. Dans certains monastères les plus hautes initiations sont de forme shakta, et Khajuraho fut un haut lieu de la secte des Kalamukha, ou "têtes noires". Adeptes de Pashupati, ils avaient pour obligation de construire des sanctuaires, d’y installer des idoles et de fréquenter les devadasi. Sachant que kama n’est qu’un moyen, on peut utiliser les énergies sexuelles pour sortir de la bestialité et participer au grand "rite sacrificiel".
Les Deva Dasi, ces chanceuses épouses des Dieux
Ce terme sanskrit est composé de deva, qui veut dire dieu, et dasi, servante. La conception indienne du religieux exige, pour l’entretien de ses dieux, le service "d’esclaves du dieu", incarnations de déesses, afin d’assurer la prospérité du royaume. Les dieux des sanctuaires expriment la souveraineté, et leur effigie est traitée à l’égal d’un roi. L’entretien quotidien d’une divinité appelle par conséquent des femmes qui accomplissent sur terre ce que faisaient au paradis les Apsaras pour servir et divertir les dieux. Ce sont des nymphes pleines de grâce, modèles célestes des servantes de temple et des courtisanes. La deva dasi est à la fois une femme attachée à un temple et au service de la divinité, et une courtisane-danseuse initiée aux arts, dont l’érotique. Cette coutume de la servante du temple se développa surtout dans le sud, et à grande échelle (autant de deva dasi que de piliers dans le temple !).
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