Ville irréelle qui semble se tenir debout sur l'eau, Venise fascine l'humanité depuis plus de cinq siècles. Cette merveille ne relève pourtant pas du miracle, mais d'une prouesse technique : pour bâtir une cité sur cette lagune, il fallut en construire le sous-sol. La « république de castors », pour reprendre le bon mot de Goethe, repose tout entière sur des millions de pieux, des forêts entières abattues, immergées, enfoncées dans un sol de boue argileuse et de sable. A ce prix purent s'élever ces palais, ces églises et ces campaniles, au bord de voies d'eau naturelles qui deviendront ses canaux (rii). Ainsi le Grand Canal est-il rien moins que l'ancien lit du fleuve Brenta, dont le cours fut détourné plus loin sur la lagune en 1507.
Les canaux, aujourd'hui au nombre de cent soixante, sont de multiples façons indispensables à Venise. Il faut d'abord y penser comme à des vaisseaux sanguins irriguant un corps vivant : en ouvrant la ville aux eaux de mer, les canaux participent à ce phénomène ambivalent qu'est l'aqua alta, qui menace Venise, mais la fait vivre en y renouvelant et oxygénant l'eau. Enjeu primordial dans l'équilibre fragile de la cité, entre excessive montée des eaux et risque permanent d'ensablement, ils doivent être entretenus sans être approfondis, afin de ne pas fragiliser les édifices qui les jouxtent. En 1846, lors des travaux de la gare ferroviaire, nombre d'entre eux furent comblés et transformés en voies piétonnières, les rii terrà. Les canaux sont également utilisés comme voies de circulation. Cela semble aujourd'hui banal à écrire mais, jusqu'au xve siècle, le Grand Canal reste l'unique axe de navigation significatif ; le peuple se déplace à pied, la bonne société à cheval, dédaignant la gondole pourtant attestée dès le XIe siècle. Les ponts sont plats, ou à peine arqués, de façon à pouvoir être franchis par les montures ; c'est avec l'essor de la gondole dans la bonne société, à la fin du XVe siècle, qu'ils se cabrent de façon à laisser passer sous leur arche l'embarcation et son rameur debout (il n'est pas impossible que l'étroitesse des canaux ait déterminé cette singulière façon de ramer des vénitiens). On compte aujourd'hui quatre cents de ces ponts dans la cité. La gondole est un des chefs-d'oeuvre de Venise (280 pièces de bois issues de huit essences différentes pour une coque de 11,5 mètres élégamment laquée de noir) : maniable et dotée d'un faible tirant d'eau, elle peut circuler sur les canaux les plus étroits, les moins profonds, inaccessibles aux bateaux à moteur.
Les canaux représentent aussi pour le visiteur le meilleur moyen de découvrir la Sérénissime, et autant commencer par le plus vaste, le plus beau et le plus célèbre d'entre eux, le Grand Canal. Dès la fin du Moyen Âge, il fait l'admiration du diplomate français Philippe de Commynes, qui le décrit comme « la plus belle rue au monde ». Quatre ponts l'enjambent : le plus ancien, le Rialto (fin du XVie siècle), avec une arche unique culminant à 7,5 m et supportant deux rangées de boutiques, le ponte dell'Accademia (1854), le ponte dei Scalzi (1858), et le ponte della Constituzione (2008). Longue de 3,8 km, large de 30 à 70 m selon les endroits, cette avenue liquide en forme de S inversé, où se tiennent depuis l'origine toutes les festivités et les traditionnelles régates, et où Byron aimait nager, est bordée de quelques-uns des plus beaux édifices de la ville : quelque deux cents palais, des églises (églises de San Geremia, degli Scalzi...), des bâtiments publics (Fondaco dei Tedeschi, Fabbriche Nuove...). Parmi les palais se distinguent le palais Gritti de style gothique, la Cà d'Oro, le plus bel édifice gothique de la ville, le palais Vendramin-Calergi (actuel casino) de style Renaissance, tandis que la Cà Pesaro (musée d'art moderne) et la Cà Rezzonico (musée des arts décoratifs du XVIIIe siècle) sont représentatives du baroque, de même que le palais Grassi (Fondation Pinault), le dernier construit sur ces rives. Citons également la Cà Venier dei Leoni, inachevée (1749), actuelle Collezione Peggy Guggenheim. Le Grand Canal débouche sur l'église baroque de la Salute, que prolonge la Douane de mer et la Punta della Dogana (second lieu d'exposition de la Fondation Pinault). Bien loin de ces architectures grandioses, tous les sestiere de Venise gagnent à être découverts au fil de l'eau, du Ghetto juif à l'Arsenale, du Dorsoduro à San Pietro. Si les marbres de parement sont très présents le long des canaux prestigieux, et la traditionnelle pierre blanche d'Istrie, la brique se révèle, tout au long des rii plus modestes, comme le matériau de prédilection de la cité tandis qu'une autre Venise, secrète et populaire, inattendue, pleine de surprises et de beautés simples, se dévoile...
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